lundi 1 août 2005

Alexis de Tocqueville, la Liberté et l’Amérique

Né en 1805, Alexis de Tocqueville est juriste dans la France de la restauration en 1827. Juste après la révolution de juillet 1830 qui a vu le triomphe de Lafayette (pour la seconde fois il fut nommé commandant de la garde nationale et intronisât Louis Philippe), Tocqueville part en voyage d'étude dans les tous jeunes Etats-Unis d'Amérique pour faire un rapport sur le système pénitentiaire américain considéré alors comme le plus avancé au monde.

Avec son ami Gustave de Beaumont, Tocqueville va étudier durant 9 mois beaucoup plus que le système pénitentiaire. Il écrit à son retour De la démocratie en Amérique, l'ouvrage qui va le rendre célèbre Pour la première fois un penseur politique français fait un lien explicite entre la liberté et l'Amérique.

La réflexion de Tocqueville part du constat que la démocratie est l'avenir de l'humanité. En cela c'est un précurseur en France. Il va au court de son œuvre critiquer les institutions et les habitudes politiques françaises dans la mesure où elle ne sont pas démocratiques. Pour Tocqueville il est clair que la démocratie c'est le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple (comme le dira plus tard Lincoln). Il est très surpris et particulièrement enchanté d'observer le fonctionnement décentralisé des institutions américaines. De constater que chaque nouveau problème se règle après débat en prenant l'avis de tous, sans conflits. Et que la loi étant établie dans le respect de chacun et pour l'intérêt de tous apparaît comme bienfaisante et est d'autant plus respectée.

La démocratie est une société où l'égalité est considérée comme une valeur essentielle, où la participation de tous aux affaires publiques est garantie et où la mobilité sociale interdit la constitution de catégories de privilégiés. La démocratie est avant tout basée sur le respect des droits individuels de chacun. Pour Tocqueville, « il y a plus de lumière et de sagesse dans beaucoup d'hommes réunis que dans un seul », ce qui donne aux sociétés démocratiques une supériorité évidente.

Cependant, la démocratie n'est en effet pas sans danger. Si la démocratie sociale est acquise, il n'en est pas de même de la démocratie politique. Le risque de la tyrannie de la majorité, de la dictature de l'opinion, de la centralisation des pouvoirs subsiste. Le danger réside dans la démission de la sphère politique, le renfermement sur soi, bref le triomphe de l'égoïsme. Les individus s'en remettent au pouvoir collectif et naît alors une servitude consentie.

Le désengagement laisse le terrain libre à l'Etat et ouvre donc la voie au despotisme et à l'absolutisme de l'Etat dont le pouvoir protecteur s'étend d'autant plus qu'il prétend mieux protéger, « il n'y a que Dieu qui puisse sans danger être tout-puissant », alerte Tocqueville. L'opinion publique n'est alors plus l'instance qui protège de l'arbitraire de l'Etat mais, au contraire, un instrument de conformisme du nombre où l'intelligence de chacun est écrasée par l'esprit de tous. Ainsi s'ouvre la voie à un despotisme prévoyant et doux dont la description qu'en fait Tocqueville n'est pas sans faire penser aux critiques ultérieures de l'Etat-Providence à la fois prévenant et dangereux.

Trop d'égalité nuit car elle efface toute diversité de sentiment et toute disposition à l'action. Il y a une opposition entre égalité et liberté qui n'est, certes, pas inéluctable mais qui existe dans les faits. Dès qu'un pouvoir, fût-il issu de la volonté populaire, agit sans contrôle ni obstacle, il y a tyrannie. La toute puissance est en soi dangereuse si elle est sans contrôle ni obstacle même s'il s'agit de celle du peuple et même si elle prétend agir pour le bien du peuple. Dans la démocratie, l'avis majoritaire devient une norme sacralisée, incontestée et donc un subtil despotisme.

Comment prévenir ces dangers ? Comment préserver la liberté politique ? Alexis de Tocqueville au XIXème siècle, comme aujourd'hui les néo-conservateurs, nous en donne la recette. Il faut pour cela la décentralisation, la séparation des pouvoirs, l'existence de contre-pouvoirs (associations, presse) et le respect des croyances religieuses.

La décentralisation a une portée civique puisqu'elle multiplie les occasions des citoyens de s'intéresser aux affaires publiques et les accoutume à la liberté. Les associations habituent les hommes à se passer du pouvoir. La presse doit faire entendre la voix spontanée du peuple en parallèle avec la volonté du peuple que prétendent exprimer les Assemblées. Les croyances religieuses apportent à la démocratie l'assise morale qui lui est nécessaire.

La liberté individuelle est dés lors une valeur essentielle. Et Tocqueville, comme les penseurs américains, établi un lien direct entre la liberté et la foi : « la liberté n'existe pas sans morale, ni la morale sans foi. » Le salut des hommes repose donc sur la vertu de leurs comportements individuels et non sur les supposées vertus de l'Etat. Tocqueville prévient à plusieurs reprise des dangers d'un Etat omnipotent, notamment lorsqu'il dit : « le plus grand soin d'un bon gouvernement devrait être d'habituer peu à peu les peuples à se passer de lui ». Il met en garde également contre le détournement de la liberté, « les despotes eux-mêmes ne nient pas que la liberté ne soit excellente ; seulement ils ne la veulent que pour eux-mêmes, et ils soutiennent que tous les autres en sont indignes tout à fait ». Tout ceci est donc inutile sans le civisme démocratique : c'est à l'individu de vouloir la liberté. Il faut donc faire appel à l'esprit de liberté de chacun.

Tocqueville émet à de nombreuses occasions sa crainte que la démocratie s'accompagne du confort de la médiocrité et que finalement les peuples démocratiques ne s'accommodent de régimes qui réglerait leurs vies, les privant ainsi de liberté. On ne peut s'empêcher de songer ici à la situation de la France actuelle. Mais il faut bien reconnaître que cette situation découle d'un modèle démocratique erroné et le monde libre est de loin le plus innovant, le plus inventif, le plus prospère et le plus pacifique. Tocqueville proclame encore sa foi en l'homme, lorsqu'il déclare : « il ne faut pas mépriser l'homme si l'on veut obtenir des autres et de soi de grands efforts ».


Tocqueville est enfin l'auteur de cette réflexion, sur la fin de sa vie, « les Français veulent l'égalité, et quand ils ne la trouvent pas dans la liberté, ils la souhaitent dans l'esclavage. » (L'Ancien Régime et la Révolution). On trouve là l'exemple parfait de la critique libérale de la Révolution Française. La France est passée à côté de la liberté en 1789 mais ne s'est pas arrêtée. Pour suivre les leçons de Tocqueville et donner enfin cette liberté aux Français notre mouvement s'engage aujourd'hui dans le combat politique avec la volonté de changer la donne.


Les principaux ouvrages de Tocqueville :

De la démocratie en Amérique I & II, Alexis de Tocqueville, 1835 & 1840.

L'Ancien Régime et la Révolution, Alexis de Tocqueville, 1856.